La vie, la physique et la science
« L’époque moderne tient la science en haute estime. La croyance que la science et ses méthodes ont quelque chose de particulier semble très largement partagée. Le fait de qualifier un énoncé ou une façon de raisonner du terme « scientifique » lui confère une sorte de mérite ou signale qu’on lui accorde une confiance particulière. Mais si la science a quelque chose de particulier, qu’est-ce donc ? »
[1] Alan F. CHALMERS (historien des sciences et épistémologue), Qu’est-ce que la science ?
« Voilà , c’est ça la science – cette découverte qu’il vaut mieux ne pas faire confiance à l’expérience passée de l’espèce – et qu’il vaut mieux tout vérifier par soi-même en faisant de nouvelles expériences. Voilà comment je vois les choses. C’est la meilleure définition de la science que je puisse donner »
[4] Richard FEYNMAN (Prix Nobel de physique 1965), Conférence donnée au congrès de l’association national des professeurs de science des USA
« Comment peut-on expliquer à l’aide de la physique et de la chimie les évènements qui se produisent dans l’espace et dans le temps dans les limites spatiales d’un organisme vivant ? La réponse préliminaire peut-être condensée comme suit : L’incapacité évidente de la physique et de la chimie actuelles de rendre compte de pareils évènements n’est nullement une raison pour douter de la possibilité pour ces deux sciences d’en donner un jour l’explication. »
[2] Erwin SCHRODINGER (Prix Nobel de physique 1933), Qu’est-ce que la vie ?
« Les lois de la physique moderne confirment les concepts qui régissent les mystiques de l’Asie »
[3] Fritjof CAPRA, Le tao de la physique
La révolution scientifique
Avant la Renaissance, la manifestation de la vie et de la matière était indissociable de la création. La révolution scientifique est d’abord le fruit d’un bouleversement de la philosophie. Quand René Descartes dit « je pense donc je suis », il établit les fondements du rationalisme, il consacre la séparation de l’esprit avec le monde physique. Esprit et matière sont conçus (pensés) comme étant d’essence différente, c’est le dualisme, premier enfant du rationalisme. Avec le dualisme la raison aborde désormais la réalité matérielle de l’extérieur, comme un objet dont elle ne fait pas partie (ce qui est remis en cause par la physique quantique).
Le rationalisme a engendré notre vision du monde ; il est aussi le père du matérialisme, qui a rendu possible le développement des sciences de la matière. On découvre les lois de la matière grâce à un nouveau concept : le déterminisme. Si le comportement des objets n’obéit plus à la volonté (caprice) des dieux, à quoi est-il soumis ? La matière est organisée et prévisible (ce qui est aussi remis en cause par la physique quantique) ; elle doit traduire un ordre sous-jacent, résumé par un principe universel, fondateur des sciences de la matière : « Tout phénomène matériel est provoqué par une cause (somme de causes) spécifique qui le précède dans le temps ». C’est le principe de la connaissance scientifique : les mêmes causes produisent les mêmes effets. Un phénomène dont on ne connait pas les causes déterminantes n’est pas infailliblement reproductible ; on dit qu’il n’est pas expliqué scientifiquement.
Il est impossible d’établir le déterminisme d’un phénomène complexe en l’étudiant dans sa globalité. Il faut le simplifier, cette démarche s’appelle le réductionnisme. Un phénomène est connu scientifiquement quand on a établi son déterminisme et que l’on peut l’inclure dans une théorie ou une loi. Cela est toujours provisoire, jamais absolu.


Les systèmes vivants
Au début du XIXème siècle, la chimie et la physique avaient donc défriché et conquis le domaine de la connaissance scientifique de notre « monde familier » grâce aux quatre principes : dualisme, matérialisme, déterminisme et réductionnisme.  Mais on pensait que ces principes n’étaient pas applicables aux êtres vivants. Chaque être réagit de manière imprévisible, aucune loi ne peut être établie, la vie échappe au déterminisme. On évoque à l’époque l’énergie ou la force vitale qui serait l’organisatrice de la matière.
Dans son ouvrage « Introduction à l’étude de la médecine expérimentale », Claude Bernard pose en 1856 les bases de ce qui va nous faire croire (par enthousiasme ou inadvertance) que la médecine tout entière était une science rigoureuse conforme au principe de causalité. Et cela, malgré le fait que Claude Bernard distinguait lui-même clairement la physiologie de laboratoire [expérimentale] et la médecine clinique [empirique].
L’être vivant échappe au déterminisme parce que nous l’examinons globalement, mais les éléments qui le composent sont soumis aux lois physico-chimiques. Ces réactions ont besoin de conditions stables et précises de température, pression, hygrométrie, c’est le « milieu intérieur ». Pour connaitre le déterminisme des phénomènes, il faut les observer de l’intérieur, en s’introduisant dans le milieu intérieur. Puisqu’on ne peut le faire sur l’homme vivant, on a recours aux animaux de laboratoire et aux cadavres.
Les conditions expérimentales doivent être aussi simples que possible, pour limiter les causes variables. Claude Bernard a donc éliminé (restreint) l’intervention de la force vitale, ouvrant ainsi la porte au dualisme et donc au matérialisme. Il a réhabilité le déterminisme et introduit le réductionnisme dans les phénomènes de la vie. Au même moment, Louis Pasteur, découvre la bactérie comme une des causes des maladies. Une maladie est reproductible expérimentalement chez l’homme ou l’animal ; Cela consacre l’application du déterminisme à la médecine. La vie est exclue de l’étude du vivant.
La révolution quantique
Le monde qui nous entoure s’étend de l’infiniment grand à l’infiniment petit, avec coincé entre ces deux extrêmes le monde familier que nous pouvons voir et manipuler à notre échelle. Les scientifiques ont donné un nom à ces trois facettes du monde : l’univers ou monde céleste, le monde macroscopique de notre quotidien et le monde microscopique qui échappe totalement à nos sens.
Ces trois mondes paraissent homogènes mais ils sont décrits par des lois physiques et des concepts mathématiques distincts qui permettent de les décrire de façon quasi indépendante. Il n’existe pas de théorie physique unique. De même qu’il n’existe toujours pas de théorie pour décrire le vivant.
Notre mode familier est décrit par la physique issue de la révolution scientifique. Le XXème siècle à apporté la théorie quantique et la théorie de la relativité pour l’infiniment grand et l’infiniment petit. Ces théories remettent en cause les bases philosophiques de la révolution scientifique, le dualisme, le déterminisme, le matérialisme et le réductionnisme. Et la vie reste toujours un mystère.


Retour aux sources
La théorie quantique et la théorie de la relativité décrivent le monde dans des termes et avec des notions qu’ont toujours utilisées les mystiques orientales, taoïsme, hindouisme et bouddhisme mais aussi le soufisme, la kabbale ou la mystique chrétienne.
La conscience de l’unité et de l’interaction de toutes choses et de tous évènements, comme autant de manifestations d’une unité primordiale ; tous les phénomènes sont conçus comme solidaires et inséparables ; l’idée de la polarité des contraires et de l’équilibre dynamique ; l’unification et la relativité de l’espace et du temps.
Un monde qui n’est fait que de vide, d’énergie, de flux et de mouvements.
Un monde vivant.
Bibliographie
[1] Alan F. CHALMERS Qu’est-ce que la science ? Edition la découverte
Une introduction simple, claire et élémentaire aux conceptions modernes de la nature de la science. L’auteur brosse un portrait critique des différents points de vue sur la science. Une bonne initiation à l’épistémologie.
[2] Erwin SCHRODINGER, Qu’est-ce que la vie ? Edition du seuil, point science
Un texte qui compte parmi les écrits scientifiques les plus importants du 20ème siècle. Une synthèse interdisciplinaire, une tentative d’élucidation de quelques-uns des mystères de la vie, qui contient en germe la découverte de l’ADN.
[3] Fritjof CAPRA, Le tao de la physique, J’ai lu éditeur
Un ouvrage culte qui montre que les concepts de la physique moderne sont ceux des philosophies orientales. La science redécouvre et valide le savoir et les intuitions de l’hindouisme, du bouddhisme et du taoïsme. C’est aussi une initiation à la physique moderne.
[4] Richard FEYNMAN, La nature de la physique, Edition du Seuil, point science
[5] Erwin SCHRODINGER, Physique quantique et représentation du monde, Ed. Seuil, point science
Deux ouvrages relativement simples, écrits par deux prix Nobel de physique, pour comprendre comment la physique moderne bouleverse notre vision et notre relation au monde.
[6] Guy LOUIS-GAVET, La physique quantique, Edition Eyrolles
Une présentation qui suit l’évolution historique et les hommes de science qui l’on construit.
[7] Valerio SCARANI, Initiation à la physique quantique, Edition Vuibert
Des conférences pour lycéens qui nous permettent de toucher du doigt, sans math, les notions incroyables de la physique quantique.